Une étude récente met en lumière un phénomène méconnu, mais d’une importance capitale pour notre climat : le rôle joué par le zooplancton antarctique, en particulier les copépodes, dans le piégeage du carbone dans les profondeurs océaniques. Bien loin de l’image que l’on se fait des « acteurs du climat », ces petits animaux invisibles à l’œil nu participent activement à la régulation du CO₂ atmosphérique – et ce, depuis des millénaires. Voici ce que l’on sait.
Chaque année, dans les eaux glacées de l’océan Austral, des milliards de minuscules animaux planctoniques accomplissent une migration verticale spectaculaire. À la belle saison, ils se nourrissent intensément de phytoplancton à la surface, engrangeant d’importantes réserves de graisse (lipides). Puis, à l’arrivée de l’hiver, ils plongent dans les abysses – entre 500 et 2000 mètres de profondeur – pour entrer dans une forme d’hibernation. Là, ils brûlent progressivement ces réserves, libérant le carbone … très loin de l’atmosphère.
Ce processus naturel, nommé « seasonal vertical migration pump », est désormais reconnu comme un puits de carbone majeur, qui transporte environ 65 millions de tonnes de carbone par an vers les profondeurs océaniques. À titre de comparaison, cela équivaut aux émissions annuelles de 55 millions de voitures diesel, selon les chercheurs Dr Jennifer Freer et Dr Guang Yang.
Des résultats qui reconfigurent notre compréhension des puits de carbone
Menée par une équipe internationale (Chinese Academy of Sciences, British Antarctic Survey, Plymouth Marine Laboratory), l’étude vient bouleverser les estimations précédentes sur la capacité de l’océan Austral à stocker du carbone. Jusqu’ici, les chercheurs connaissaient le rôle du zooplancton dans l’export de carbone via leurs déchets (la « biological pump » classique), mais l’ampleur du stockage liée à leur migration n’avait jamais été quantifiée avec autant de précision.
Une mécanique ancienne menacée par l’activité humaine
Si ces résultats mettent en lumière une forme de « service écosystémique » jusqu’alors ignorée, ils révèlent aussi une grande fragilité. Car ce processus dépend d’un équilibre délicat : la santé du phytoplancton de surface, la stabilité thermique de la colonne d’eau, et la densité des populations de zooplancton.
Or, le changement climatique, les événements météorologiques extrêmes et surtout la pêche industrielle de krill mettent en péril ce système. Près de 500 000 tonnes de krill ont été pêchées en 2020 dans les eaux antarctiques, une activité légale mais controversée. Ces animaux, également impliqués dans le stockage du carbone, sont également une ressource clé pour de nombreuses espèces (baleines, phoques, manchots) et leur raréfaction pourrait avoir des conséquences en cascade.
L’appel des scientifiques : intégrer ces données dans les modèles climatiques
Les chercheurs soulignent que ces nouveaux résultats doivent désormais être intégrés dans les modèles de prévision climatique. Car sans ce mécanisme naturel, les niveaux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère seraient, selon eux, environ deux fois plus élevés qu’aujourd’hui. Cela montre à quel point les océans – et les créatures invisibles qu’ils abritent – jouent un rôle de tampon essentiel dans notre lutte contre le dérèglement climatique.
« Si cette pompe biologique n’existait pas, nous serions déjà dans une situation climatique bien plus critique », explique le professeur Angus Atkinson, coauteur de l’étude. Son collègue, le professeur Daniel Mayor, insiste : « Ces animaux sont des héros méconnus. Leur mode de vie est non seulement fascinant, mais aussi vital pour le climat mondial ».