Le réseau Envie, pionnier du réemploi et de l’insertion professionnelle en France, traverse une crise majeure. Un appel d’offres national menace jusqu’à 1000 emplois et remet en cause un équilibre précieux entre performance industrielle, impact social et transition écologique. Alors que l’on parle d’urgence climatique et de cohésion sociale, peut-on vraiment se priver d’un acteur comme Envie ?
Envie, ce sont 53 entreprises d’insertion réparties sur tout le territoire, qui collectent, trient, réparent et reconditionnent des équipements électriques et électroniques (DEEE). Le réseau mobilise 3800 salarié·e·s, dont 2850 en parcours d’insertion, accompagné·e·s vers un emploi durable à travers des formations, un encadrement professionnel et une montée en compétences progressive. Les appareils reconditionnés sont remis sur le marché à prix solidaires, dans des magasins de proximité, avec une garantie — preuve du sérieux technique et de la fiabilité du modèle.
Une réponse concrète à des enjeux majeurs
Le réseau Envie ne se contente pas de réparer des machines. Il répare aussi des trajectoires, tout en réduisant l’empreinte environnementale de notre consommation. Il s’inscrit pleinement dans les objectifs de la loi AGEC (Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire), en favorisant la réutilisation plutôt que l’enfouissement ou l’incinération. Envie permet aussi un accès plus équitable à l’équipement électroménager, tout en renforçant la présence locale d’une économie solidaire et en valorisant des circuits courts. C’est un modèle professionnel, ancré, efficace et aligné avec les priorités publiques. Pas un projet fragile ou militant : une solution robuste, déjà opérationnelle, à grande échelle.
Une mise à l’écart brutale
Depuis 2006, les entreprises logistiques du réseau Envie ont joué un rôle structurant dans la filière DEEE : elles collectent les équipements usagés et les acheminent vers les centres de traitement et de reconditionnement. Mais en avril 2025, les résultats d’un nouvel appel d’offres « logistique DEEE » lancé par Ecosystem, éco-organisme agréé par l’État, ont écarté de nombreuses structures du réseau Envie. La priorité donnée aux seuls critères tarifaires menace ainsi plus de la moitié des marchés logistiques sur lesquels s’appuyait Envie, avec un risque immédiat : la suppression de 1000 postes, dont 75 % dans des parcours d’insertion. Déjà, cinq sites sont en danger à très court terme : Rennes, Nantes, Angers, Niort et Mulhouse. Et avec eux, les structures de reconditionnement associées, qui dépendent directement de cette logistique.
Une décision à contre-courant
Cette mise à l’écart interroge – d’autant qu’Ecosystem est une entreprise à mission. Pourquoi fragiliser un acteur historique, compétent et engagé, qui concilie insertion professionnelle, impact écologique, et ancrage local ? Pourquoi mettre en péril un maillage territorial solide au profit d’une logique de coûts immédiats, déconnectée des réalités sociales et environnementales ? Ce n’est pas l’économie sociale et solidaire qui demande un traitement de faveur. C’est un modèle professionnel qui fonctionne — techniquement, économiquement, humainement — qui est aujourd’hui écarté au nom d’une logique court-termiste.
Ce que nous pouvons faire : exiger cohérence et responsabilité
Face à cette situation, plusieurs leviers existent pour éviter un recul majeur du réemploi solidaire. Un plan d’urgence est nécessaire pour maintenir les capacités de réemploi sur les territoires et préserver les centaines d’emplois en insertion associés. L’intégration obligatoire de critères de réemploi, de reconditionnement et d’insertion dans les marchés liés aux filières REP (Responsabilité Élargie du Producteur) doit devenir la règle, et non l’exception. La gouvernance des éco-organismes doit être réformée en profondeur, afin qu’ils agissent sous un véritable pilotage public, aligné avec les objectifs de la loi AGEC et les principes de l’intérêt général. Enfin, l’État, les collectivités locales et les parlementaires doivent se mobiliser pour garantir la pérennité de ce modèle de réemploi solidaire, accessible, écologique et social.
Les entreprises ont, elles aussi, un rôle structurant à jouer. Intégrer des critères d’impact social et environnemental dans les appels d’offres, soutenir les structures engagées comme Envie, et porter une commande responsable sont autant d’actions concrètes pour faire vivre les engagements RSE au-delà des discours.
Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas seulement un réseau d’entreprises d’insertion. C’est un modèle cohérent, aligné avec les objectifs de transition que nous partageons tous. Et il mérite d’être défendu.